Analyse d’une tendance qui bouleverse le modèle économique traditionnel.
Petit tour d’horizon de l'uberisation
De quoi parle-t-on?
Popularisé dans les pays francophones par Maurice Lévy, ce néologisme est directement dérivé de la désormais célèbre application Uber, qui permet de mettre en contact direct les particuliers avec des chauffeurs indépendants. Ainsi, les dernières évolutions technologiques, telles que la généralisation de l’usage du smartphone, du haut débit, de l’internet mobile et de la géolocalisation ont permis l’émergence de ce type d’application dans les pays industrialisés.
Cependant, il s’agit surtout de décrire un bouleversement majeur au sein du modèle économique traditionnel. En effet, c’est la manière de concevoir son business-plan qui se trouve totalement remise en question. Dès lors, on parle d’une économie « coopérative », fonctionnant en réseau et s’appuyant sur une mutualisation des biens, des outils, des moyens administratifs et des espaces. En d’autres termes, Uber ne possède aucun véhicule, succursale, ni même de chauffeurs employés directement, puisqu’ils sont considérés comme des auto-entrepreneurs. Ce dernier point est âprement discuté, en ce moment, et suscite la controverse. Nous reviendrons dessus plus en détail dans la suite de notre article. Pour l’instant, retenons qu’un réseau de particuliers, organisé via une simple application, peut aisément rivaliser avec les grands groupes déjà en place sur le marché.
Quels sont les secteurs impactés ?
Outre le transport des personnes, l’hôtellerie traditionnelle s’est rapidement trouvée confrontée à l’arrivée d’un concurrent de taille, à savoir Airbnb. Mais, plus globalement, du plombier à la jeune fille au pair, le modèle est transposable à tous les services à la personne, voir plus encore. On peut facilement imaginer des applications adaptées pour les comptables, les avocats ou les architectes. Il est encore difficile d’évaluer la zone d’impact d’un tel changement. Mais une chose est sûre, il sera de taille.
Pourquoi ce modèle rencontre-t-il un tel succès ?
Pour les entreprises « uberisées », la réduction drastique des coûts et des charges sociales demeure le principal argument. Pourtant, ce n’est pas le seul. Elles ont permis d’élargir le marché, en convertissant des clients n’ayant pas pour habitude d’utiliser ce genre de service. Disposant d’une structure allégée, elles peuvent plus facilement s’adapter à la demande et offrir des services en adéquation avec les attentes des particuliers. Effectivement, les clients sont unanimes, les prix ont sensiblement baissé, mais c’est surtout la qualité des services fournis qui s’est améliorée. Uber a agi tel un électrochoc sur un marché quelque peu endormi et a redynamisé les acteurs historiques du secteur qui se sont vus obligés de répliquer, en proposant, notamment, des applications. Du côté des prestataires « uberisés », le statut d’auto-entrepreneur est séduisant et permet une grande souplesse dans la gestion du temps de travail. Cette activité permet de générer un revenu, souvent complémentaire, pour un bon nombre de personnes. Mais, car il y a un mais, même plusieurs…
Quelles sont les limites de l’ « uberisation » ?
L’aventure d’Uber en Chine s’est soldée par un échec retentissant. L’un des obstacles réside dans le fait de répondre à la promesse faite à ses utilisateurs, c’est-à-dire celle de trouver un véhicule en moins de dix minutes sur un territoire aussi vaste. Ainsi, Uber a dû attirer à perte chauffeurs et clients, dans le but de gagner des parts de marché, en brûlant plus d’un milliard de dollars par an. La compagnie californienne s’est, surtout, confrontée à un concurrent déjà bien implanté et beaucoup trop imposant pour être englouti, à savoir Didi Chuxing. Finalement, c’est Didi Chuxing qui a fini par avaler Uber. Mais, avec du recul, Uber s’en tire bien, en détenant 17,7 % du capital de Didi (participation qui vaut déjà 6 milliards de dollars).
En Europe, c’est surtout l’aspect du coût social qui retient l’attention. Les premiers à se révolter furent les chauffeurs de taxi, dénonçant une concurrence déloyale, arguant que les chauffeurs d’Uber ne sont pas soumis aux mêmes obligations comme l’achat d’une licence onéreuse. Certains Etats y voient un manque à gagner évident et commencent à émettre des lois pour réguler les pratiques en la matière. La ville de Berlin, déjà confrontée à une crise du logement aiguë, a purement et simplement décidé d’interdire Airbnb, sauf pour les habitants de « pied-à-terre ».
Du côté des chauffeurs indépendants, certains commencent à dénoncer le manque de couverture sociale, la non-cotisation des retraites, l’augmentation des marges d’Uber et le non-respect des obligations de l’employeur. En Angleterre, la décision a été prise par la justice de reconnaître le statut d’employé pour les chauffeurs d’Uber. Ils ont, désormais, droit à des vacances payées et à un salaire minimum.
Quelles conclusions en tirer ?
Contrairement à un processus d’automatisation pur et dur, l’ « ubérisation » ne supprime pas nécessairement des emplois, mais les fragilise. Sa mise en pratique a permis de secouer certains secteurs endormis par une situation d’oligopole. Les acteurs traditionnels se sont vus obligés d’améliorer leur offre et de s’adapter à la demande des clients. Il n’existe pas de marche-arrière, cette évolution est inexorable car en adéquation avec les outils de notre époque.
Cependant, ce changement de paradigme ne peut se faire de manière anarchique, en écartant la question sociale. La régulation des Etats va petit à petit soumettre les entreprises « uberisées » aux mêmes obligations que leurs concurrents. Au-delà du coût social, la raison est essentiellement fiscale. Le modèle est en cours de « traditionalisation », si l’on peut s’exprimer ainsi, mais la digitalisation des services est en soit inévitable. Ainsi, à notre époque, les applications deviennent un outil primordial au sein d’un business-plan viable.
Alexandre Eftimie.
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